LES COMPTEURS A ZERO

Référence biblique : Jean 8 : 1-11

La foule grossit au fur et à mesure qu’elle avance. Curieux, religieux, haineux… ils s’ajoutent au cortège, assoiffés de spectacle exutoire de leur haine et leur peur du péché, associant mépris et violence contenus jusqu’alors, les projetant vers la cible du moment. Et cette fois-ci, c’est moi la cible.

C’est inouï combien tout peut basculer en quelques heures. Depuis des générations, observer la loi est au cœur de mon quotidien. Nos projets, nos réunions, nos fêtes…. Tout est régi par le respect strict des lois de Dieu, source de tant de bénédictions, de cohésion sociale et de sécurité. Sécurité brisée en milliers de fragments depuis peu de temps.

Le plus regrettable est que tout s’est déclenché à cause d’une séduction passagère. On est ferme face à cet éblouissement, on se barricade dans notre foi qui nous met à l’abri, sous les ailes de Dieu. Et le cœur de Dieu devient une forteresse imprenable où rien ne peut nous atteindre.

Un jour, comme un virus invisible et si réel, la séduction gravit les marches de la porte d’entrée, profite de la fragilité passagère de l’occupant incapable de lui fermer la porte au nez, et se glisse pour aspirer ses forces et son énergie jusqu’à le mettre à terre.

Un moment d’égarement terrible, et tout s’écroule. La digue de ma ténacité a cédé sous une pression que je n’avais jamais affrontée. Ah si le temps se mettait en standby, arrête de s’égrener, m’offrait une seconde chance…

Je suis trainée comme une bête vers l’abattoir. Tétanisée et seule, sans mon partenaire. Il s’est enfui et personne n’a cherché à le poursuivre. Un homme a des privilèges que je ne peux pas me permettre. La lapidation est l’issue de cette expédition, je le sais. Et j’ai peur. Très peur. Mais je mérite la sentence, je regrette tant cette faiblesse qui a mis ma vie à terre, volé ma dignité.

Ils sont si nombreux, si violents. Leurs yeux malfaisants m’ont tué mille fois avant le déferlement futur des pierres. Certains choisissent et soupèsent déjà les plus efficaces, sur le bas-côté de la route, avec une minutie morbide. Je connais ma faute. Elle est là, me pèse tant, plus lourde sur mon cœur que toutes les pierres qu’ils se préparent à me lancer.

Regarde Seigneur, ils sont tous devenus purs et innocents devant mon erreur. Même les voleurs, les escrocs, les adultères, les trafiquants… tous se mettent en marche pour me donner la mort. Tiens, ils s’arrêtent. On arrive sur la place du temple, le lieu d’exécution. Les religieux me trainent, me jetant par terre, et leurs insultes tombent sur moi comme une coulée de boue.

Je m’attends à entendre le coup d’envoi, à recevoir les premiers jets. Je n’ose pas lever les yeux, me mets en position de fœtus pour me protéger au maximum. Mais rien ne se passa. Les secondes durent des millénaires. J’ose jeter un regard furtif. Il est là. Le Rabbi dont tout le monde parlait. Son regard d’amour absorbait les étincelles de haine de toute cette foule assoiffée de sang.

Il gardait le silence, inscrivait quelque chose avec son doigts sur le sol, comme s’il créait des antidotes pour chaque atome de haine et de propre justice émanant de la horde déchainée. Ce silence est à mes oreilles le plus exquis des langages, les plus paisibles des notes jamais perçues. Je n’ai plus peur. La mort, elle peut venir, elle n’a plus pour moi la même terreur, la même couleur, la même odeur. La présence de Jésus la dépouille de tout ce qu’elle a de terrifiant. Je désire juste me connecter au Seigneur, et mourir pour expier ma faute, partir en paix.

J’entends un pharisien l’informer de mon accusation et ma lapidation prévue, puis lui demander ce qu’il en pense. Mes oreilles se dressent comme un animal traqué, essayant de percer les bruits les plus infimes de la forêt. Etrangement, je suis sereine, même si mon sort se joue sous mes yeux sans que je puisse me défendre.

Puis soudain, j’entendis le Seigneur parler, et le ciel s’ouvrit ! La sagesse se déposa comme une rosée matinale sur ce lieu sinistre :

  • Que celui d’entre vous qui est sans péché jette le premier la pierre contre elle.

J’ose à peine lever mon visage du sol poussiéreux. Je n’ai pas besoin de me défendre, Il est mon avocat. Il comprend le poids de ma honte, de mon indignité, de mes regrets, de ma peine dont personne en Israël ne se soucie. Sauf Lui.

J’entends un murmure parcourir la foule, comme un sursaut fébrile de crainte, de fragilisation des arguments religieux déjà prévus par les chefs du temple. Un silence lourd, si pesant que je me sentais encore plus clouée au sol. J’essaie de respirer lentement, avec parcimonie, comme pour ne pas attirer l’attention sur moi, ne pas déranger… Jésus écrit par terre avec un doigt, les yeux rivés au sol. Personne ne bouge parmi les bourreaux. Une puissance insaisissable plane sur le lieu et paralyse toutes ces mains crispées sur les pierres prêtes à être utilisées. On dirait que le Créateur de l’humanité contrôle la volonté physique de chaque individu présent, et lui fait défiler en sa conscience la réalité surprenante de sa personne nue des faux semblants, des artifices, de la religion, de l’apparat trompeur.

Mes muscles me font mal mais je garde ma position de peur de susciter leur colère si je fais un seul mouvement. Je sens ces dizaines d’yeux de vautours fixés sur moi, la proie qui risque de s’échapper sans qu’ils aient chacun leur part au châtiment que leur concède la loi. Mais cette puissance qui contrôle ce lieu les inhibe et accomplit la loi de Moïse relative à la lapidation, non en dehors mais au-dedans de leur cœur. Nul ne peut juger et exécuter la sentence sur son prochain, sauf s’il est sans péché. Or, qui peut prétendre être pur, sans tâche, à part Dieu ?

Mes sens guettent le moindre mouvement. L’oppression autour de moi s’amoindrit. Des bruits de pas lourds et lents, par dizaines, s’éloignent. Mon Dieu ! Ils partent ! Je risque un regard et remarque que les plus âgés en premier, puis les plus jeunes derrière eux, rebroussent chemin d’un pas pesant et accablé, jetant sur le bord de la route les pierres choisis avec soin. Ils emportent en eux leur violence comme un boulet dont ils ont raté l’occasion de se débarrasser, et doivent la conserver dans l’attente d’un prochain coupable.

Je suis là, seule au pied du Maitre. J’y passerai l’éternité. Rien d’autre que sa proximité, le parfum enivrant de son souffle qui se diffuse dans l’air de cette place, la rendant colorée, paradisiaque. Le silence est maitre mot dans ce lieu. Dans cette absence de mots, Il s’entretient avec mon cœur par un langage singulier qui écrit, au fur et à mesure de cette prodigieuse conversation, ses textes dans les tréfonds de mes entrailles. Mon corps, mon âme… tout devient le support de sa loi, la tablette où Il l’écrivit, accomplie dans l’amour.

Juste recevoir l’enseignement du Maitre, se rassasier du pain de vie, le regarder mettre le joug de ma culpabilité en miettes, entendre le cliquetis des clés que tourne sa main dans les serrures de mes cachots, retrouver les mouvements de liberté pour lesquels je suis créée. L’étau se desserre. Et même avec le visage enfoui dans la poussière, je me sens, je me vois pousser des ailes, celles de mon identité retrouvée en Lui. Sur ce sol, lorsque son doigt allait et venait, Il rédigeait l’acte de ma liberté du péché, de ma délivrance de mon passé.

Tout est intemporel. Je ne bouge pas, je me sens bien, en adéquation avec Lui et avec moi-même. Je l’entends me dire :

  • Femme, où sont ceux qui t’accusaient ? Personne ne t’a-t-il condamnée ?

Je me relève du sol, plonge mes yeux reconnaissants dans les siens et déclare :

  • Non Seigneur !

Sa réponse souffla sur moi et dans les airs, m’apportant une force inouïe de consolation, et emportant au loin, très loin mon indignité :

  • Je ne te condamne pas non plus : va et ne pèche plus.

Ma culpabilité s’est effritée comme un habit miteux en décomposition. Ce poids qui m’empêchait de respirer, de m’estimer, de vivre, me quitta comme si un aimant géant l’attira vers des contrées lointaines. Les vannes de ma joie perdue se rouvrent de nouveau, et je réalise comme un enfant combien la vie est belle.

Comment le remercier ? J’avais tout perdu, et là j’ai tout pleinement en Lui. La Vie coule dans son sillage, et je réalise combien je suis vivante. D’un seul mot, Il a effacé ma dette, m’a réhabilitée, a mis les compteurs à zéro pour que je recommence une vie nouvelle. Lorsqu’Il parle, on dirait que même les oiseaux écoutent le maestro des symphonies, les arbres font bruire leurs feuilles en hommage au Grand Je Suis, les vagues s’élèvent et finissent pas se prosterner devant le Seigneur de la Vie.

Il devient en peu de temps les quatre points cardinaux de ma vie, m’offre le mouvement et l’être, le vouloir et le faire.

Il devient la plateforme tournante sur laquelle je construis le présent et l’avenir.

Il devient le sel dissipant la fadeur de ma vie passée, et je retrouve le goût à ses bontés que je ne savais plus déguster à leur juste valeur.

Il devient ma lumière, et comme David je peux dire : même les ténèbres deviennent lumière avec Toi.

Oui, Il a mis les compteurs de ma vie à zéro,

Fait taire le tumulte de mes bourreaux.

Relevée, pardonnée, libérée,

En Lui, je suis née de nouveau.

Najat

3 commentaires sur « LES COMPTEURS A ZERO »

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