DES ESTROPIEES HEUREUSES

L’autonomie est certainement un cadeau dont nous jouissons jour après jour, sans nous rendre compte de sa valeur si précieuse. Jusqu’au jour où tout bascule…

Une chute banale, un accident, une glissade, et cette belle liberté de mouvements s’évapore, réduisant sensiblement nos déplacements et nos démarches quotidiennes.

Immobilisé, tout geste devient un périple complexe, voire dangereux. De l’avoir moi-même expérimenté, je reconnais que ma dépendance vis-à-vis des autres m’exaspérait à chaque impasse, à chaque obstacle. Cependant, ce temps d’immobilité forcée est un atout considérable entre les mains du Seigneur, qu’Il utilise à des fins toujours si étonnantes. Ce qui paraissait une épreuve douloureuse, se métamorphose en un temps d’intimité restauratrice, créatrice, témoin parfois de guérison intérieure, de reconstruction spirituelle, et surtout de solidarité inattendue.

Mimi, qui a vécu une expérience compliquée, l’exprime si justement :

« Quand j’ai eu les 2 poignets cassés, je ne pouvais plus rien faire toute seule et c’est à cette période que j’ai vraiment compris que mon besoin d’autonomie n’était qu’un leurre.

Les unes après les autres, les amies étaient venues pour m’aider, et c’est durant ma convalescence que j’avais songé à créer le C.A.L.    (petit jeu de mot avec les séquelles d’une fracture), mais qui voulait dire « Chaîne-Amitié-Loisirs ». Si on est seul, comment faire pour se sortir d’un tel pétrin ? Donc, j’avais eu compassion des dames isolées, et le CAL en fut la solution !

Quand je me suis cassé le bras par la suite, les amies étaient loin, mais j’avais mis en route un réseau de soutien, et n’ai pas hésité à utiliser les moyens tels que kiné à domicile, infirmière pour la toilette et distribution des repas, le tout réalisé par la mairie, via une association.

Le Seigneur donne toujours une solution pour palier à notre handicap, fait surtout une œuvre dans notre cœur, et nous fait comprendre que nous avons besoin « des uns et des autres », et que nos exigences de perfectionnisme s’effritent et tombent en poussière….

L’immobilisation forcée est la meilleure école d’humilité, expérience qui fortifie notre cœur, et on en ressort grandi. Si on y laisse des plumes, c’est pour mieux alléger nos ailes, et mieux voler vers ce que le Seigneur nous prépare. »

Hélène, quant à elle, expérimente une autre dimension de l’amour de son entourage pendant son immobilisation. Elle nous confie :

« Etant immobilisée, tout devient très compliqué… et j’apprends à dépendre des autres ! Vous touchez le bout de vous-mêmes… La dernière fois que j’ai vu mon dentiste, j’étais étonnée qu’il n’ait toujours pas de secrétaire. Et avec un petit sourire, mi-gêné, mi-rieur, il a dit : « C’est difficile de trouver quelqu’un pour vous aider, quand vous savez qu’il fera moins bien que vous » Nous y sommes ! Les maniaques, perfectionnistes de tout bord, j’en suis… j’avoue, et c’est difficile de se faire aider ou seconder quand vous auriez fait autrement, pour ne pas dire mieux…

Alors, on s’arrête et on laisse le Seigneur s’occuper de nous. Comment ? Et bien, avec les autres ! les autres qui sont l’extension du bras de Dieu ! Les autres qui nous aident à nous habiller, qui nous préparent à manger, qui nous aident pour des choses toutes bêtes et anodines, mais qu’on ne peut plus faire seul. Je n’avais jamais vu les choses comme ça ! Que l’aide et la collaboration des autres étaient l’extension du bras de Dieu dans notre vie et nos occupations quotidiennes. Afin que tout ce qui s’entremêle gaiement dans le « faire ensemble » tricote une œuvre d’amour où chacun aura, à un moment ou à un autre, tenu l’aiguille à tricoter. Allez, une maille à l’endroit, une maille à l’envers ! On avance, ensemble, et qu’on en ait conscience ou non, à un moment ou à un autre, on est l’extension du bras de Dieu. »

Finalement, notre situation d’apparence néfaste nous a permis d’explorer des moments de bonheur et de partage étonnants. D’abord en intimité avec le Seigneur qui, par des chemins tout tracés, ressuscite en nous l’Eprit créateur et nous rend utiles malgré notre immobilité. Et par la suite en collaboration avec les autres, nait une solidarité spontanée, reflet rassurant de cette complémentarité des membres d’un même corps, se réjouissant avec ceux qui se réjouissent, et pleurant avec ceux qui pleurent. Alors oui, nous étions peut-être des estropiées, mais sûrement des estropiées heureuses de vivre une expérience inédite et marquante avec notre Seigneur et notre prochain.

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