ULTIME REFUGE

Référence biblique : Nombre 35 : 9-15

Le jour approchait de son déclin, et il règnait une étrange émanation de désespoir. Non, c’est un crépuscule comme un autre, c’est sûrement son désarroi qui jetait un voile de détresse sur les choses.

Hobab croisait des paysans rentrant des champs, heureux de retrouver leurs foyers avec un repos bien mérité. Lui tournait le dos à son foyer et avançait dans le sens inverse. Combien il aimerait pivoter de 180° et revenir sur ses pas, regagner les bras de son épouse, l’atmosphère conviviale et amicale du pressoir…

C’était un après-midi comme un autre, en tout cas au départ. Il s’était occupé à stocker dans le cellier les outres et jarres de vin fraichement recueillies au pressoir. Les fouleurs rythmaient leurs mouvements saccadés sur les chants dynamiques qu’ils entonnaient avec des voix graves et chaudes. Malgré la pénibilité physique de leur activité, il y avait un air de fête au pressoir, comme une affaire de famille, et chacun mettait du cœur dans son activité.

La récolte fut généreuse cette année, et il a dû embaucher plus d’ouvriers pour la vendange et le fouloir. Ses pensées chantonnaient de gratitude en rangeant les jarres pleines de vin nouveau.

Au travers du bruit et des chants des ouvriers, il entendit quelqu’un l’interpeller et sortit dehors. Lorsqu’il vit s’approcher un de ses clients, il espéra immédiatement que le motif de sa présence soit l’acquittement de ses dettes. Le client était tendu, et interpella Hobab sur les dernières commandes, exigeant la livraison immédiate de la marchandise. La tension monta rapidement lorsque Hobab lui réclama de s’acquitter des dernières quittances, sans quoi il mettrait fin à leur collaboration.

L’altercation attira l’attention des ouvriers qui arrêtèrent leur cadence, se demandant jusqu’où cela pouvait dégénérer. Furieux, le client se jeta sur Hobab et le secoua violemment. Celui-ci essaya de se dégager mais n’y parvint pas. Rassemblant toute son énergie, il prit les bras du client, lui fit lâcher prise et le projeta en arrière. Celui-ci fut propulsé à 2 mètres et s’effondra au pied du pressoir, la tête heurtant brutalement l’enceinte rocailleuse du fouloir.

Le pressoir ressemblait à une scène figée, sans vie. Les ouvriers mirent plusieurs secondes à réaliser le drame, et descendirent précipitamment s’enquérir de l’état du client. Hobab, pétrifié, n’osait pas s’approcher du corps étendu. Percevant les yeux hagards des ouvriers devant le corps, il sortit de son hébétude et se précipita vers lui. Un courant glaçant parcourut son corps de part en part. Il a tué son client. Comment est-ce possible ? Il essayait juste de le calmer et de lui faire lâcher prise…

Comme dans un brouillard, il entendait les employés chuchoter, accablés et n’osant pas bouger. Lui restait là immobile, regardant droit devant lui, comme un bout de bois mort. En même temps que son client qui a perdu la vie, il a aussi été amputé d’une portion de sa vie, et rien ne sera plus comme avant.

L’un de ses employés s’approcha de lui timidement, tirant sur un mulet et lui tendit un sac :

  • Maitre, je vous ai préparé dedans de quoi tenir. Partez s’il vous plait.
  • Mais ma famille ? Le pressoir ?
  • Vous pouvez compter sur nous, mais partez vite ! Vous aurez de l’avance pour atteindre Ramoth avant que le vengeur du sang ne vous rattrape.

Il jeta un regard sur son pressoir, comme pour imprimer une dernière image du lieu et de ses employés, attrapa le sac et enfourcha son mulet. Les yeux embués et résignés, ses hommes le suivirent d’un regard si expressif qu’on l’entendrait presque crier :

  • Vas-y maître, cours te mettre à l’abri dans la ville de refuge !

C’était un accident. Il n’a pas prémédité de le tuer, c’est contraire à ses convictions, à la loi de Dieu. Il s’est arraché à sa vie, à sa famille, à sa communauté… Cet acte a creusé, en une fraction de secondes, un abîme entre son présent et son avenir.

La loi l’autorise, dans le cas d’un homicide volontaire, à rejoindre la ville de refuge la plus proche, et y attendre un procès équitable. Le vengeur de sang, à savoir un membre de la famille de la victime, est autorisé à le faire mourir s’il le trouve hors de l’une des six villes de refuge. Elles ont été construites sous les directives du Seigneur afin d’offrir à l’accusé d’homicide involontaire le droit de s’y abriter jusqu’au procès, contre les représailles du vengeur de sang.

Son mulet dévalait les sentiers de la vallée, comme s’il discernait l’urgence qu’avait son cavalier à atteindre Ramoth. Dans cette obscurité, des maisons avec de la lumière lui évoquaient la chaleur et l’amour d’un doux foyer. Il a tout perdu. Et cette course contre la montre est d’une telle angoisse.

Si le vengeur de sang est plus rapide ? Et s’il a une monture plus vigoureuse ? S’il a un cheval, Son mulet ne fera pas le poids !

Il fit une halte pour reposer sa monture, lui donna à boire et profita de la pause pour s’approcher de Dieu et prier.

Seigneur, tu as instauré la loi et établi les villes refuges pour des cas comme le mien. Tu le sais, c’est un accident. Pardon pour cette dispute, pour ma colère. Pardon parce que les enfants de cet homme sont orphelins, à cause de moi. Permets je te prie que je puisse atteindre Ramoth avant le vengeur. Aide-moi à y trouver refuge, à être jugé selon ta loi. J’ai confiance en Toi.

Il reprit sa course, avançant rapidement dans cette nuit opaque. Les routes menant aux villes de refuge ont toujours été entretenues pour faciliter la fuite des meurtriers involontaires. Cependant, il a tellement arpenté cette région pour livrer ses jarres de vin, qu’il était capable de s’y repérer comme un pigeon voyageur. Prenant des raccourcis par monts et collines, il espérait semer le vengeur et gagner un temps précieux.

Son ouïe guettait le moindre bruit proche ou lointain. Avancer, ne pas trop réfléchir, ne pas s’apitoyer sur son sort. Par moments, la crainte serrait sa poitrine, sa respiration en devenait saccadée, et ses muscles se raidissaient, presque douloureux. Un sentiment plus sombre que cette obscurité le tétanisait, tissant sa toile autour de lui comme une veuve noire. Il a subitement une envie de capituler, de s’arrêter et attendre que le vengeur arrive, recevoir cette peine si méritée. Combien il regrette…

Puis il se ressaisit et se dit que finalement, il n’avait jamais souhaité la mort de quiconque. Ce droit légal de se réfugier à Ramoth, c’est une chance que Dieu lui offre, peut-être pourrait-il reprendre une vie normale après avoir purgé sa peine…

Eternel ! Tu es ma sécurité. Je veux être jugé selon ta loi. Je suis prêt. Accorde-moi ta grâce, ta paix. Tu es Celui qui ne change pas. Aide-moi. Je te fais confiance.

Sa prière se procura des ailes dans sa foi d’enfant, simple et authentique. Son mulet semblait déchiffrer le langage de son cavalier parce qu’il trotta plus vigoureusement, décidé à le mettre en sécurité le plus tôt possible.

Les toutes premières lueurs de l’aube rappelaient à la nuit sa fin toute proche. Enfin, Hobab devina au loin les murailles de la ville, et son cœur s’embrasa d’un feu de joie.

Ramoth. Lieux élevés, telle est sa traduction. Plus que jamais il a besoin de s’extraire de la vallée de l’ombre de la mort, de la peur, de la culpabilité, et escalader jusqu’à ces hauteurs inaccessibles, cette rencontre avec Dieu, source de vie et nouvelle chance que ne peut offrir que l’Eternel dont la compassion dure à toujours.

A la porte de la ville, il descendit de sa monture, lui donna une tape amicale et reconnaissante sur le flanc, et franchit le seuil de la sécurité. Le chant de délivrance que fredonnait son cœur était si intense que ses larmes baignèrent ses joues.

Je languissais d’atteindre la ville, mais au-delà de ses murailles protectrices, c’est dans les plis de ton cœur que je veux me reposer. Toi qui m’as gravé sur tes mains, c’est en Toi seul que je me sentirai désormais en sécurité. Plus que Ramoth Seigneur, c’est Toi mon Refuge, et je ne saisis cette vérité que maintenant.

* * * * * * * * * * * *

Sur ordre de Dieu, Israël construisit six villes lévitiques, trois à l’est et trois à l’ouest du jourdain, appelées villes de refuge. Le meurtrier ayant tué par accident ou en état de légitime défense y trouvait un asile contre le vengeur du sang, et y attend la sentence qui sera prononcée selon la justice.

On peut dire sans se tromper que Jésus-Christ est la septième ville de refuge, le temple parfait offert à chaque croyant qui trouvera en son sein les grâces acquises par le don de sa vie : la sécurité, le repos, la justice… et la rédemption parfaite.

Nul besoin de parcourir des kilomètres pour fuir, Il est plus près de nous que notre ombre, à portée de cœur, refuge sécurisé et sécurisant. Hébreux 6 : 18-20 évoque cet abri inébranlable :

« …nous dont le seul refuge a été de saisir l’espérance qui nous était proposée. Cette espérance, nous la possédons comme une ancre de l’âme, sûre et solide ; elle pénètre au-delà du voile, là où Jésus est entré pour nous comme précurseur, ayant été fait souverain sacrificateur pour toujours, selon l’ordre de Melchisédek. »

Najat

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