PEU, BEAUCOUP, ABONDAMMENT

Référence biblique : Luc 9 : 10 – 17

Ce jour-là, je pris ma besace dans laquelle j’avais mis mon paquet de victuailles, et partis avec les autres chercher le lieu où enseignerait le prophète. J’embrassai du regard la foule nombreuse, enregistrant en mémoire le langage des corps des gens, tous en attente d’un évènement qui bouleverserait leur vie, voire la changer. L’effervescence de cette foule hétéroclite était palpable et palpitante. Curieux assoiffés de sensationnel, malades en quête de guérison, juifs pieux guettant la venue du roi d’Israël, religieux cherchant une occasion pour contredire le Maitre, hommes et femmes désireux d’enrichir leur foi, enfants et vieillards, on était tous là pour l’écouter et le voir faire. Il y avait un panel d’individualités, de caractères, même des extrêmes se côtoyaient pour le rejoindre : religieux haineux tout comme les assoiffés de justice, les miséreux en haillons comme les riches de noble lignée. Toutes les couleurs de la société juive étaient là, chacun avait ses raisons personnelles pour faire converger la trajectoire de sa vie vers Lui.

Sa disponibilité vis-à-vis des autres était étonnante. Il était surtout doux et humble de cœur. Lorsqu’ils s’adressaient aux gens, les scribes et les pharisiens étalaient leur connaissance, en créant parfois un climat de terreur de la justice divine, brandissant l’ombre du châtiment derrière le sceptre de la loi. Le Rabbi, Lui était comme une ondée de fraicheur par une journée de canicule. On dirait qu’Il comprenait la vie, les motivations, les soucis de chacun, même ceux des enfants, et indiquait des directions nouvelles pour sortir de nos labyrinthes. Lorsqu’Il enseignait, on n’avait nul besoin de connaitre la théologie pour comprendre le langage de Dieu. Tout devenait clair et accessible, parce que ça filtrait par son cœur.

Lorsqu’on l’écoutait, on avait envie de Lui obéir, tellement l’amour transpirait de tout son être. Je voyageais au travers de ses récits, ses paraboles, accroché à ses lèvres comme un naufragé à une planche de bois. Ses paroles vibraient d’une musique bienfaisante et mystérieuse, transportant les auditeurs vers des hauteurs très élevées, assurant une guérison intérieure, et ouvrant le sanctuaire divin. Contrairement à la loi, Il nous aidait d’abord à conjuguer le verbe « être en Dieu », puis on terminait par le verbe « faire ».

En ce moment, on ne s’ennuyait pas en Israël. Il s’y passait des choses fabuleuses, et je devais mettre à jour régulièrement ma connaissance des dernières nouvelles. On n’avait que la renommée de Jésus sur toutes les langues. Aux dernières informations, un centenier romain était venu en personne lui demander de l’aide pour son serviteur gravement malade. Sans se déplacer pour prier ou lui imposer les mains, le Rabbi l’avait guéri par un seul mot. Waouw ! Quelle classe !

L’autre jour, Il enseignait au milieu d’une immense foule, et les gens autour de Lui le touchaient. Soudain, Il arrêta de parler et demanda qui l’avait touché car une force était sortie de Lui. Et en effet, une femme malade l’avait touché pour recevoir la guérison, et elle fut guérie. C’est fabuleux ! J’ai même entendu parler de la résurrection de deux enfants, le fils d’une veuve de Naïn, et la fille de Jaïrus, le chef de la synagogue. Même la mort lui est soumise, on avait rarement vécu ça en Israël.

Aujourd’hui, aux dernières nouvelles, Il est parti du côté de Bethsaïda avec ses disciples. On se mit tous en route, enfants, adultes, vieillards, bien portants ou malades portés sur des brancards. Nous étions comme des abeilles à la recherche d’un nectar d’une autre nature, ingrédient de base incontournable pour un miel porteur de vie éternelle. Notre appétit de déguster les paroles du Maitre n’avait d’égal que les délivrances qui s’opéraient sous nos yeux, comme si une main invisible levait le rideau sur des scènes surréalistes mais si concrètes, accueillant les merveilles du ciel sur terre. L’histoire hébraïque regorgeait de miracles et d’interventions divines, seulement là, Dieu était présent en personne, avec nous, à portée de cœur, sans obstacle, sans rideau de séparation.

Il était là, disponible, atteignable et pourtant si céleste. Au lieu d’être servi, sujet de tous les hommages, Il s’était dépouillé pour nous servir et nous faire du bien. Son attention se portait autant sur les hommes que sur les femmes, et même sur les enfants pour lesquels Il avait reproché aux disciples leur dureté, et leur avait demandé de les laisser venir à Lui. Chaque personne se trouvait importante à ses yeux, réalisait qu’Il serait venu l’enseigner et l’aider même si elle était la seule présente dans l’auditoire ce jour-là.  On aurait dit qu’Il attendait chacun de nous, sachant d’avance le pourquoi de sa venue.

Dès que ses lèvres s’entrouvraient pour enseigner, les nôtres se fermaient, et nos oreilles devenaient de puissantes paraboles cherchant à capter les précieux enseignements de ses paroles. Nous étions des milliers, et chacun de ses mots plantaient une semence dans les différentes terres de nos cœurs, dont la croissance dépendra de la disposition de chacun. Les heures défilèrent et rejoignirent les méandres du passé, à notre insu. Nous étions hors du temps, seul le soleil qui chevauchait vers son déclin nous ramenait dans les filets de la réalité temporelle. Nous étions captivés, Il était captivant. Nous étions passionnés, Il était passionnant. Nous étions pauvres, Il était enrichissant. En Lui, chaque individu recevait en abondance selon ses besoins, découvrait les solutions aux équations compliquées de sa vie. En Lui, le caché était révélé, l’obscur était mis à la lumière, l’enfoui dans les cœurs remontait à la surface.

L’enseignement fit place à la guérison des malades, boiteux, estropiés, aveugles, sourds, possédés… Chacun reçut une attention particulière, personnelle, grâce excellente et don parfait d’un Roi serviteur. Je voyais les malades déployer les ailes de la liberté, se délestant des infirmités, de leur mal, leur honte, leur condamnation. Je les voyais rayonner de joie, devenir légers, débarrassés de leurs pesants fardeaux aliénants. Je remarquai également la haine des religieux, l’opposition souvent silencieuse des pharisiens, mais leurs sentiments obscurs étaient engloutis par le déluge de lumière que propageait sa présence, plus puissant qu’un fleuve grondant, emportant sur son passage les branches mortes et les débris de toutes sortes, et les déversant dans l’océan de son amour. Rien ne lui résiste, alors pourquoi lui résister ?

Le jour déclinait mais une ère nouvelle s’était levée sur nos vies. La foule demeurait là, ressassant les enseignements, discutant des guérisons, ou se réjouissant des dons reçus. Nous devions retourner chez nous pour nous restaurer. J’entendis le Rabbi discuter avec les disciples, et ceux-ci ne savaient nullement comment s’y prendre pour se procurer des provisions et nourrir ces milliers de personnes. Il fallait une forte somme d’argent pour acheter de la nourriture… Je furetais dans ma besace. Oui, j’avais pris des provisions avant de partir, mais je fus si absorbé et nourri par les faits et gestes de Jésus que j’ai oublié de manger. Je proposai mes cinq pains et deux poissons à l’un des disciples, pour peut-être les partager avec d’autres personnes. Le disciple les présenta à Jésus qui les prit, rendit grâce au Père, puis commença à distribuer des paniers entiers remplis de pains et de poissons. La nourriture n’en finissait pas de foisonner, et ma pitance rassasia ce jour-là la faim de cinq mille hommes, sans compter les femmes et les enfants, et il recommanda de ramasser les restes, soit douze paniers. Tout se déroulait sous nos regards médusés, et cette multiplication nous fit voir les méthodes de calcul arithmétique sous un autre angle. Cinq pains et deux poissons plus Jésus, était égal à plus de cinq mille ainsi que le reste.

Cette journée brillait de la révélation de l’Eternel qui pourvoit. Il avait multiplié à profusion mon maigre repas pour donner à manger à un nombre considérable d’auditeurs, leur procurant l’énergie nécessaire pour retourner dans leurs demeures. Il avait apaisé la faim de nos cœurs par les mets fins et délicieux disposés sur la table royale de ses enseignements, renouvelant les forces intérieures. Il avait nourri les cœurs brisés, affaiblis par les aléas du quotidien, diffusant une nouvelle vigueur, porteuse de l’espérance de la vie éternelle. Nos ancêtres découvraient chaque matin la manne descendue du ciel, nous, nous avions avec nous le fabricant de la manne céleste, le Pain de Vie Lui-même qui nous nourrissait de sa propre main.

Le psalmiste avait écrit : « Il ouvre sa main et rassasie à souhait tout ce qui a vie ». Pour moi, c’était plus que de l’écrit, la Parole prenait vie. Il était là, rassasiant toute faim, faisant couler dans nos veines les écrits sacrés, comme les meilleurs nutriments, boostant notre recherche spirituelle et la raccordant à la source de Vie.

Comme le soleil qui se lève, rien ne se dérobe à sa chaleur, ni à sa lumière. Rien, aucune personne, aucun besoin n’étaient oubliés dans sa présence. Nous avons rebroussé chemin, le ventre rempli de pain et de poisson, et le cœur déchargé de tant de fardeaux. Un mouvement de foule me fit comprendre qu’il se passait quelque chose d’important. Je m’approchai et entendis la multitude suggérer de le proclamer Roi. A ses prodiges et ses miracles, tous furent convaincus qu’Il était le Roi d’Israël qu’on attendait. Oui, un roi de son envergure et de sa sagesse est un cadeau du ciel pour le pays. Mais étrangement, Jésus s’éclipsa et disparut, tournant le dos à un destin aussi glorieux. Peut-être nourrissait-Il d’autres projets tout aussi surprenants que les signes et les merveilles qu’Il opérait ? Ou bien la royauté n’était pas l’objectif pour lequel Il était ici ?

Son départ furtif déclencha mille questions en nous, et sur le chemin du retour, j’entendais les adultes débattre vivement de l’impact de cette journée mémorable, avec ses révélations glorieuses et ses zones d’ombre, énigmes et vérités cachées dont Dieu Seul détenait le pouvoir de les déchiffrer ou les révéler. En tout cas, pour moi, j’avais vécu la journée la plus fabuleuse de ma vie d’enfant. La fierté d’avoir participé avec mon maigre repas à l’un des plus grands miracles de Jésus, les instructions spirituelles reçues au pied du plus exaltant des maîtres, les guérisons multiples accomplies sous mes yeux… Ce qu’Il faisait, ce qu’Il disait, tout était nourriture et vie.

L’impact de cette journée sur mon existence, et celles de tant de personnes présentes, était mémorable car, même s’Il ne voulait pas le devenir, Il était le Roi des Rois qui nous avait marqués de son sceau. L’invisible déménageait dans le visible, plus de barrières, plus de frontières. Le vide n’existait pas en sa présence car « Il remplit tout en tous. »

Malgré mon jeune âge, j’avais découvert la direction pour me projeter, les quatre points cardinaux de ma vie : tout est de Lui, en Lui, par Lui, et pour Lui. En fin de compte, c’était plus que suffisant pour moi. Je rentrais à la maison repu, rassasié, et heureux, conscient qu’Il m’offrait une nouvelle destinée.   

Najat

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